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La vue , Jean-Pierre (mardi)

Poursuivons la découverte de nos sens... Jean-Pierre nous livre ici un témoignage en deux temps : l'absence et la redécouverte de ce précieux sens qu'est la vue... Une touche d'humour et une  jolie comparaison avec ces vieux tableaux jaunis que nous avons tous en tête illustre à quel point ce sens peut nous faire défaut et changer notre vision du monde...Merci Jean-Pierre pour ce partage !

NB : Jean-Pierre Passerieux écrit aussi des textes en dehors de l'atelier, vous aurez peut-être la chance d'en lire quelques-uns glanés de-ci de-là !

 

           La première chose que je vois, ou plutôt, les premières choses que je revois : la lumière, les couleurs, et aussi les formes.

            Au fil du temps le monde s’était peu à peu obscurci, très progressivement. Je ne m’en étais rendu compte que de façon incertaine, seulement dans des cas très concrets : difficulté pour reconnaître un ami dans la rue. Vision troublée, avec des images multiples d’un point précis, par exemple un feu rouge. Ainsi une source lumineuse punctiforme prenait l’aspect d’un arbre de Noël, aux lumières multiples. En conduisant ma voiture il m’était très difficile de me situer entre plusieurs lignes continues, par exemple vers les aires de repos. En revenant de Paris, tous les avions qui quittaient Orly ou s’en rapprochaient étaient des biplans.

            Une chirurgie bienveillante est passée par là. La coque qui abritait mon œil a été retirée le lendemain. Et là, j’ai retrouvé la lumière, les formes et les couleurs. La lumière dans tout son éclat. Mais aussi des choses perdues de vue : les étoiles sont revenues. Mais parlons des couleurs !

            Le monde était devenu, sans que je m’en rende compte vraiment, comme ces vieux tableaux jaunis et sombres, avec des couleurs incertaines. Là toutes les couleurs, avec leurs richesses, leurs jeux, leurs chatoiements, m’étaient rendues, comme pour ces vieux tableaux dont je parlais, quand ils étaient passés entre les mains d’un restaurateur.

            La richesse du monde visuel que j’avais peu à peu perdue, sans m’en rendre compte, m’était rendue : lumière, formes, couleurs.

            Est-ce que cela aurait été possible si j’étais né dans beaucoup de régions d’Afrique, ou même d’Amérique ou d’Asie ? Mais je vivais dans un monde très privilégié, j’étais moi-même un grand privilégié.

 

Jean-Pierre Passerieux

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Cherrier Geneviève (mardi, 28 novembre 2017 16:43)

    Un passage bien décrit de l'ombre à la lumière avec les sentiments qui l'accompagnent et que l'on devine intenses !!!